Vous vous étonnez de mes longs silences
Ernest Prévost (1872-1952)
Vous
vous étonnez de mes longs silences.
Les yeux dans mes yeux, vous cherchez
pourquoi
Une ombre a passé sur notre présence
Et glissé
son trouble entre vous et moi.
Mon coeur bat de même, et ma main
fervente
N'a pas desserré son enlacement ;
Et pourtant votre regard
s'épouvante.
« Qu'avez-vous, ami ? - Je n'ai rien vraiment !
»
Je n'ai rien vraiment que je puisse dire,
Qu'une oppression
d'amant apeuré,
Un égarement dont je devrais rire
Et dont
j'ai du mal à ne point pleurer.
La chute est fatale au coeur qui
s'élève,
Que hante l'étoile au front de la nuit,
Qui
porte trop haut sa flamme et son rêve,
Son rêve s'effondre et
croule sous lui.
L'émoi d'un soupir ou d'une attitude,
D'une
inflexion, l'a précipité.
Et ce rêve, épris de
son altitude,
L'âme a de la peine à l'y remonter.
Il
suffit souvent pour briser l'étreinte
D'un regard distrait, d'un mot
retenu,
D'un sourire absent ou d'une contrainte,
D'un geste câlin
qui n'est pas venu...
Quelque chose meurt qui m'endeuille vite,
Un
rêve, un espoir, une illusion...
Ma foi les recueille et les ressuscite,
Mais
il faut le temps de la passion !
Mais il faut le temps de se dire encore
Qu'une
amante belle est un don des cieux,
Qu'on ne scrute pas un coeur qu'on adore,
Qu'on
n'offense pas la clarté des yeux,
Que seul est puissant et seul
délectable
L'amour que l'on crée, âpre et nuancé,
Et
qu'il est divin, le coeur misérable
Qu'un effleurement de rose a blessé...