Vieille chanson du jeune temps
Victor Hugo (1802-1885)
Je ne songeais pas à Rose ;
Rose au bois vint avec moi
;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de
quoi.
J'étais froid comme les marbres ;
Je marchais à pas distraits
;
Je parlais des fleurs, des arbres ;
Son oeil semblait dire : « Après ?
»
La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols ;
J'allais ;
j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.
Moi, seize ans, et
l'air morose ;
Elle, vingt ; ses yeux brillaient.
Les rossignols
chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.
Rose, droite sur ses
hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux
branches ;
Je ne vis pas son bras blanc.
Une eau courait, fraîche et
creuse,
Sur les mousses de velours ;
Et la nature amoureuse
Dormait
dans les grands bois sourds.
Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air
ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure ;
Je ne vis pas son pied
nu.
Je ne savais que lui dire ;
Je la suivais dans le bois,
La
voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.
Je ne vis qu'elle
était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
« Soit ; n'y pensons
plus ! » dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.