Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore
Paul Verlaine (1844-1896)
Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,
Puisque, après
m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et
l'implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C'en est
fait à présent des funestes pensées,
C'en est fait des mauvais rêves, ah !
c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincées
Et des mots où
l'esprit sans l'âme triomphait.
Arrière aussi les poings crispés et la
colère
À propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune
abominable ! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés
!
Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière
A dans ma nuit
profonde émis cette clarté
D'une amour à la fois immortelle et
première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,
Je veux, guidé par
vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma
main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs
et cailloux encombrent le chemin ;
Oui, je veux marcher droit et calme
dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans
remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.
Et
comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus,
je me dis
Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne
veux pas d'autre Paradis.