Mon rêve familier
Paul Verlaine (1844-1896)
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme
inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à
fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car
elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse
d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front
blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune,
blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et
sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au
regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle
a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.