Les roses d'Ispahan
Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)
Les roses d'Ispahan dans leur gaine de mousse,
Les jasmins de
Mossoul, les fleurs de l'oranger
Ont un parfum moins frais, ont une odeur
moins douce,
Ô blanche Leïlah ! que ton souffle léger.
Ta lèvre est
de corail, et ton rire léger
Sonne mieux que l'eau vive et d'une voix plus
douce,
Mieux que le vent joyeux qui berce l'oranger,
Mieux que l'oiseau
qui chante au bord du nid de mousse.
Mais la subtile odeur des roses dans
leur mousse,
La brise qui se joue autour de l'oranger
Et l'eau vive qui
flue avec sa plainte douce
Ont un charme plus sûr que ton amour léger
!
Ô Leïlah ! depuis que de leur vol léger
Tous les baisers ont fui de
ta lèvre si douce,
Il n'est plus de parfum dans le pâle oranger,
Ni de
céleste arôme aux roses dans leur mousse.
L'oiseau, sur le duvet humide
et sur la mousse,
Ne chante plus parmi la rose et l'oranger ;
L'eau vive
des jardins n'a plus de chanson douce,
L'aube ne dore plus le ciel pur et
léger.
Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger,
Revienne vers mon
coeur d'une aile prompte et douce,
Et qu'il parfume encor les fleurs de
l'oranger,
Les roses d'Ispahan dans leur gaine de mousse !