Le lézard
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Sur les ruines de Rome.
Un jour, seul dans le Colisée,
Ruine de
l’orgueil romain,
Sur l’herbe de sang arrosée
Je m’assis, Tacite à la
main.
Je lisais les crimes de Rome,
Et l’empire à l’encan vendu,
Et, pour élever un seul homme,
L’univers si bas descendu.
Je
voyais la plèbe idolâtre,
Saluant les triomphateurs,
Baigner ses yeux
sur le théâtre
Dans le sang des gladiateurs.
Sur la muraille qui
l’incruste,
Je recomposais lentement
Les lettres du nom de l’Auguste
Qui dédia le monument.
J’en épelais le premier signe :
Mais,
déconcertant mes regards,
Un lézard dormait sur la ligne
Où brillait le
nom des Césars.
Seul héritier des sept collines,
Seul habitant de ces
débris,
Il remplaçait sous ces ruines
Le grand flot des peuples
taris.
Sorti des fentes des murailles,
Il venait, de froid engourdi,
Réchauffer ses vertes écailles
Au contact du bronze
attiédi.
Consul, César, maître du monde,
Pontife, Auguste, égal aux
dieux,
L’ombre de ce reptile immonde
Éclipsait ta gloire à mes yeux !
La nature a son ironie.
Le livre échappa de ma main.
Ô Tacite,
tout ton génie
Raille moins fort l’orgueil humain !