Laisse-moi !
Gérard de Nerval (1808-1855)
Non, laisse-moi, je t'en supplie ;
En vain, si jeune et si
jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Ne vois-tu pas, à ma
tristesse,
Que mon front pâle et sans jeunesse
Ne doit plus sourire au
bonheur ?
Quand l'hiver aux froides haleines
Des fleurs qui brillent
dans nos plaines
Glace le sein épanoui,
Qui peut rendre à la feuille
morte
Ses parfums que la brise emporte
Et son éclat évanoui ?
Oh !
si je t'avais rencontrée
Alors que mon âme enivrée
Palpitait de vie et
d'amours,
Avec quel transport, quel délire
J'aurais accueilli ton sourire
Dont le charme eût nourri mes jours.
Mais à présent, Ô jeune fille
!
Ton regard, c'est l'astre qui brille
Aux yeux troublés des matelots,
Dont la barque en proie au naufrage,
À l'instant où cesse l'orage
Se
brise et s'enfuit sous les flots.
Non, laisse-moi, je t'en supplie ;
En vain, si jeune et si jolie,
Tu voudrais ranimer mon coeur :
Sur ce
front pâle et sans jeunesse
Ne vois-tu pas que la tristesse
A banni
l'espoir du bonheur ?