J'ai presque peur, en vérité
Paul Verlaine (1844-1896)
J'ai presque peur, en vérité,
Tant je sens ma vie enlacée
À
la radieuse pensée
Qui m'a pris l'âme l'autre été,
Tant votre image, à
jamais chère,
Habite en ce coeur tout à vous,
Mon coeur uniquement
jaloux
De vous aimer et de vous plaire ;
Et je tremble,
pardonnez-moi
D'aussi franchement vous le dire,
À penser qu'un mot, un
sourire
De vous est désormais ma loi,
Et qu'il vous suffirait d'un
geste,
D'une parole ou d'un clin d'oeil,
Pour mettre tout mon être en
deuil
De son illusion céleste.
Mais plutôt je ne veux vous
voir,
L'avenir dût-il m'être sombre
Et fécond en peines sans
nombre,
Qu'à travers un immense espoir,
Plongé dans ce bonheur
suprême
De me dire encore et toujours,
En dépit des mornes retours,
Que
je vous aime, que je t'aime !