Éloge de la jeune fille
Victor Segalen (1878-1919)
Magistrats ! dévouez aux épouses vos arcs triomphaux.
Enjambez les routes avec la louange des veuves obstinées.
Usez du
ciment, du faux marbre et de la boue séchée pour dresser les mérites
de ces dames respectables, - c'est votre emploi.
Je garde le mien qui
est d'offrir à une autre un léger tribut de paroles, une arche de buée dans
les yeux, un palais trouble dansant au son du coeur et de la
mer.
*
Ceci est réservé à la seule Jeune Fille. À celle à qui tous
les maris du monde sont promis, - mais qui n'en tient pas encore.
À
celle dont les cheveux libres tombent en arrière, sans empois, sans fidélité
- et les sourcils ont l'odeur de la mousse.
À celle qui a des seins et
n'allaite pas ; un coeur et n'aime pas ; un ventre pour les fécondités, mais
décemment demeure stérile.
À celle riche de tout ce qui viendra ; qui va
tout choisir, tout recevoir, tout enfanter peut-être.
À celle qui,
prête à donner ses lèvres à la tasse des épousailles,
tremble un peu, ne sait
que dire, consent à boire, - et n'a pas encore bu.