Bon chevalier masqué qui chevauche en silence
Paul Verlaine (1844-1896)
Bon
chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé
mon vieux cœur de sa lance.
Le sang de mon vieux cœur n'a fait qu'un
jet vermeil,
Puis s'évaporé sur les fleurs, au soleil.
L'ombre
éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux cœur
est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheure s'est
rapproché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.
Son
doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu'il attestait sa
loi d'une voix dure.
Et voici qu'au contact glacé du doigt de
fer,
Un cœur me renaissait, tout un cœur pur et fier,
Et voici que,
fervent d'une candeur divine,
Tout un cœur jeune et bon battit dans ma poitrine
!
Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un
homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remonté
sur sa bête,
En s'éloignant, me fit un signe de la tête
Et
me cria (j'entends encore cette voix) :
« Au moins, prudence ! Car
c'est bon pour une fois. ».