Berceau
Louis Bouilhet (1822-1869)
À
l'ombre d'un figuier superbe,
Près d'un fleuve aux bords inconnus,
Deux
enfants sont couchés dans l'herbe,
Frais, souriants et demi-nus.
Le
grand ciel bleu les environne,
Un dernier rayon de soleil
Semble poser
une couronne
Sur leurs fronts joints par le sommeil.
Ils se réveillent...
Ô mystère !
Du fond des antres sans chemins,
Une louve, rasant
la terre,
Vient lécher leurs petites mains.
Et tous deux, sous
la bête énorme,
Les doigts crispés au poil tordu,
Tètent
sans peur le pis difforme
Que les louveteaux ont mordu.
Courbe, ô
figuier, ta large voûte
Sur ce grand berceau des déserts ;
Leur
cri faible qu'un monstre écoute
Promet César à l'univers
!
Fleuve obscur dont l'eau solitaire
Doit s'enorgueillir tant de fois,
Tibre,
où boira toute la terre,
Viens jouer aux pieds de tes rois !
Et
toi, par la forêt profonde,
Sous la lune au fauve reflet,
Hurle,
ô louve, on noierait un monde
Dans chaque goutte de ton lait !
Ton
museau pointu qui grommelle
Domine les peuples tremblants,
Rome tressaille
à ta mamelle,
L'avenir vagit sous tes flancs.