À un poète mort
Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)
Toi dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur
divine au contour immortel
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.
Voir, entendre,
sentir ? Vent, fumée et poussière.
Aimer ? La coupe d'or ne contient que du
fiel.
Comme un Dieu plein d'ennui qui déserte l'autel,
Rentre et
disperse-toi dans l'immense matière.
Sur ton muet sépulcre et tes os
consumés
Qu'un autre verse ou non les pleurs accoutumés,
Que ton siècle
banal t'oublie ou te renomme ;
Moi, je t'envie, au fond du tombeau calme
et noir,
D'être affranchi de vivre et de ne plus savoir
La honte de
penser et l'horreur d'être un homme !