À Laure
Alfred de Musset (1810-1857)
Si tu ne m'aimais pas, dis-moi, fille insensée,
Que
balbutiais-tu dans ces fatales nuits ?
Exerçais-tu ta langue à railler ta
pensée ?
Que voulaient donc ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces
sanglots et ces cris ?
Ah ! si le plaisir seul t'arrachait ces
tendresses,
Si ce n'était que lui qu'en ce triste moment
Sur mes lèvres en
feu tu couvrais de caresses
Comme un unique amant ;
Si l'esprit et les
sens, les baisers et les larmes,
Se tiennent par la main de ta bouche à ton
coeur,
Et s'il te faut ainsi, pour y trouver des charmes,
Sur l'autel du
plaisir profaner le bonheur :
Ah ! Laurette ! ah ! Laurette, idole de ma
vie,
Si le sombre démon de tes nuits d'insomnie
Sans ce masque de feu ne
saurait faire un pas,
Pourquoi l'évoquais-tu, si tu ne m'aimais pas ?