À la musique
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les
arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
- L'orchestre
militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres
:
Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses
breloques à chiffres.
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs
:
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles
vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames
;
Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent
le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : « En somme !... »
Épatant sur
son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine
flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde - vous
savez, c'est de la contrebande ; -
Le long des gazons verts ricanent les
voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et
fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les
bonnes...
- Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les
marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent
en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
Je
ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés
de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos
divin après la courbe des épaules.
J'ai bientôt déniché la bottine, le
bas...
- Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me
trouvent drôle et se parlent tout bas...
- Et je sens les baisers qui me
viennent aux lèvres...